The Conversation
La coopérative, un modèle d’innovation sociale et écologique
Être copropriétaire de l’entreprise en tant que salarié, usager ou client et participer à ses décisions : le modèle coopératif continue de se développer depuis le XIXᵉ siècle. Mettre en place des gouvernances multi-prenantes (public, privé et société civile), gérer les communs (énergie, eau, santé), et co-créer des politiques publiques décentralisées, la coopérative reste toujours un vecteur d’innovation sociale. Néanmoins, un défi se pose encore : s’organiser en réseaux structurés pour repenser l’intérêt général sur les territoires.
« Les coopératives construisent un monde meilleur », tel est le titre donné par l’ONU pour une année 2025 dédiée aux coopératives. Partout dans le monde, il s’agit de souligner le rôle joué par les coopératives dans la mise en œuvre des objectifs du développement durable (ODD).
Les coopératives n’émergent pas au XXIe siècle. Les équitables pionniers de Rochdale ont fondé en 1844 en Angleterre le mouvement coopératif moderne. Progressivement, celui-ci s’est étendu au monde entier. Dès leur apparition au XIXe siècle, les coopératives ont exprimé dans leurs principes fondateurs l’ambition de combiner dimension économique, progrès social et sociétal. Elles ont même pendant quelques décennies affiché une volonté de transformer radicalement la société et le système économique avec ce que Charles Gide appelle la « République coopérative ».
Quels que soient leur secteur d’activité et leur pays d’origine, les coopératives partagent un certain nombre de règles :
- la double qualité qui signifie que l’on est conjointement propriétaire de son entreprise et salarié ou associé et usager ;
- la démocratie économique dans le cadre d’une gouvernance partagée selon le principe « une personne-une voix » ;
- et enfin des règles d’affectation des excédents et de partage de la valeur décidées collectivement dans le cadre d’une lucrativité encadrée ou prohibée.
Elles incarnent ainsi un modèle spécifique d’entreprise et de développement : celui de l’économie sociale et solidaire.
D’un sociétariat homogène au multi-sociétariat
Les coopératives historiques se sont développées à partir d’un sociétariat qui est longtemps resté très homogène : coopératives de travailleurs, d’agriculteurs, de commerçants, d’usagers ou de consommateurs. Une partie d’entre elles ont subi des pressions croissantes souvent liées aux transformations de leur secteur d’activité. Elles ont ainsi inscrit leur trajectoire dans une relative banalisation qui, dans certains domaines tels que la banque, le commerce ou l’agro-alimentaire, les ont amenées à constituer des holdings coopératifs pour faire face à un environnement très concurrentiel.
À côté de cette évolution qui tend à rapprocher une partie des coopératives du modèle d’entreprise conventionnelle, on observe depuis une vingtaine d’années l’émergence de nouvelles coopératives fondées sur le principe d’une gouvernance multi parties-prenantes ( « multistakeholders cooperatives »). Le modèle italien de la coopérative sociale apparu dans les années 1990 est considéré comme précurseur. En France, il est formalisé au plan juridique en 2001 avec la loi sur la Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC) qui connaît un développement soutenu depuis une quinzaine d’années.
Gestion des biens communs
Ces nouvelles formes de coopératives constituent un modèle original. Il permet d’associer à la gouvernance des parties prenantes telles que les travailleurs, les usagers, les citoyens, les bénévoles, les fournisseurs, les financeurs et les pouvoirs publics locaux. Dans certains pays, ces coopératives prennent en charge des industries de réseau (transport ferroviaire, fourniture d’énergie, distribution d’eau) qui s’ouvrent à la concurrence après avoir été longtemps réservées au secteur public.
Dans d’autres contextes, elles assurent des activités de services qui relevaient autrefois du secteur non marchand (santé, insertion des chômeurs, inclusion des publics défavorisés, éducation), modèle qui émerge lentement aussi en France. Ailleurs, elles sont un des leviers qui permet le passage d’activités économiques du secteur informel au secteur formel et contribue au développement du travail décent.
Presque partout, elles construisent des stratégies pour développer l’agriculture biologique, la consommation responsable et soutiennent l’économie circulaire. Les usages et mobilisations de ces coopératives sont différenciés selon les territoires et les besoins illustrant ainsi une forte plasticité et une adaptation aux réalités locales.
Un moteur d’innovation sociale
Ancrées dans un territoire singulier, fondées sur des processus participatifs, les coopératives constituent des innovations sociales à un triple titre :
- par leur modèle d’organisation multi parties prenantes et les coopérations qu’elles initient,
- par le processus de production et d’autorégulation par la gouvernance,
- par la capacité des biens et services produits à répondre aux besoins et transformer les pratiques et les usages.
La dimension participative qu’offrent ces coopératives dépasse donc très largement la seule question de la participation des salariés, sur laquelle se cristallise souvent la dimension sociale de la RSE ou l’engagement de l’entreprise à mission. De façon croissante, par leurs finalités et leurs modalités, notamment en matière de gouvernance, elles intègrent un engagement social et environnemental au cœur de leur stratégie.
Réseau coopératifs et Licoornes
L’un des enjeux pour ces coopératives consiste à s’organiser en réseaux structurés, à mobiliser les outils du numérique et à constituer des plates-formes pour avoir un impact plus global. Elles peuvent apporter des réponses originales et pertinentes aux Objectifs du Développement Durable (ODD) de l’ONU et à la transition environnementale. C’est ce qu’essaie de faire en France le collectif les Licoornes (Licoornes – Coopératives pour la transition) qui regroupe 12 coopératives animées d’une volonté de transformer la société via une prise de conscience de l’urgence.
Elles revendiquent une identité singulière à travers leur nom et leurs valeurs communes fondées sur une position radicale d’organisation économique et politique. Les Licoornes sont notamment à l’initiative de l’opération Milliard. Cette dernière vise à réunir un milliard d’euros pour financer les organisations qui sont porteuses d’innovation sociale et écologique sur tous les territoires écologiques. Ces coopératives constituent ainsi un idéal type entrepreneurial qui articule le premier (génération frugale) et le second (coopérations territoriales) selon le scénario de l’ADEME pour atteindre la neutralité carbone en 2050.
Penser les organisations alternatives
Au plan théorique, ces nouvelles formes coopératives viennent nourrir les imaginaires d’organisations alternatives. Elles sont une expression particulière d’une gouvernance inclusive et d’une gestion partagée des ressources entre l’ensemble des parties prenantes telle que l’a conceptualisée la théorie des communs dans le prolongement des travaux d’Elinor Ostrom. Elles incarnent également une expression du caractère hybride des organisations économiques que certains caractérisent à travers le concept de nœuds de tensions. Les organisations coopératives combinent en effet ambition sociale et soutenabilité économique sans sacrifier l’une au profit de l’autre.
Quand elles sont plus spécifiquement engagées dans des activités sanitaires et sociales, ces coopératives offrent un cadre original pour le développement d’initiatives de welfare-mix et de partenariats public/privé. Elles concourent de facto à la co-construction des politiques publiques dans le champ du social dépassant les politiques descendantes inspirées du « nouveau management public ».
Autant de pistes de recherche et de pratiques qu’il importe d’approfondir pour qu’avec les coopératives et au-delà, on puisse progresser vers « un monde meilleur ».
Les auteurs :
Eric Bidet, enseignant-chercheur en Sociologie et responsable du master Économie Sociale et Solidaire à Le Mans Université
Nadine Richez-Battesti, maître de conférences en sciences économiques, Aix-Marseille Université (AMU)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.